Cette ballade se fait au départ du petit village de Duranus où se trouve le fameux "saut des français". Le premier objectif de la ballade est l'ancienne mine de l'Eguisse de laquelle était extrait du sulfure d'arsenic. Cette mine a été fermée en 1931, toutefois en 1910 (pic de production du site) 18 ouvriers pouvaient en extraire jusqu'à 3 tonnes de minerai par jours. Le minerai était ensuite "grillé" sur place au moyen d'installations très importantes, dont subsiste notamment une cheminée.
La cheminée de la mine de l'Eguisse surgit ! |
l'usine |
Les restes des installations de l'usine |
La chapelle saint Michel |
Les ruines et au fond la cime de Roccassiera (1501m) |
Du côté du Paillon vu depuis une fenêtre ! |
Est-ce la ruine du château de la reine Jeanne ? |
Le hameau de l'engarvin est visible à travers la fenêtre |
Cime de Roccassiera |
Le sanctuaire de la madone d'Utelle |
Le castel ginesté (1344m) et le brec d'Utelle (1604m) |
le Tournairet (2086m) et la foret des granges de la brasque |
Le Férion (1412m) |
Le Mounier (2817m) |
Au fond de la vallée qu’arrose de
fois à autre le Paillon de Contes quelques milliers de toises plus loin, à vol
d’oiseau, que l’imposant village de Coaraze se rencontrent les ruines de Rocca
Sparviera, sur la ligne de faite qui relie le sommet du Férion à Celui du mont
Roccassiera.
L’église aussi bien que les
maisons des paysans, les cahutes des bergers et les vieux murs du château
féodal tout indistinctement a été couché sur le sol par un tremblement de
terre. Les survivants ont transportés leurs foyers qui à Coaraze, qui à
Duranus, qui au hameau plus proches de l’Engarvin fondé tout exprès pour leur
servir de refuge.
Le Malheureux événement était
chose prévu et dés longtemps attendue : Rocca Sparviera, la roche de
l’épervier, non seulement portait un nom de mauvais augure, mais on savait
qu’un sort fâcheux planait sur elle et que c’était un lieu maudit. De
génération en génération dans les veillées d’hiver, on s’était répété une
sinistre légende à l’appui d’une prédiction non moins sinistre :
« Rocca, Rocchina !, un jou vendra, Que aïssi non cantera plus ni
gal ni gallina ! ».
(Roc, méchant roc ! un jour viendra ou ne chantera plus sur toi,
ni poule ni coq !).
Telle avait été la prédiction de
la reine Jeanne de Naples ! Mais qu’avait à faire ce personnage fameux du
XIVème siècle avec un coin de terre montagneuse perdu au milieu des pins et
qu’apercevaient seuls les habitants de Coaraze, du haut de leur citadelle,
elle-même défendue de tous côtés par la barrière d’une forêt
inextricable ?
C’est précisément ce coin de
terre perdue, au bout du monde qui avait tenté une reine fugitive, pourchassée
par une meute d’ennemis, mais ingénieuse à dépister ces limiers ; d’autant
plus ingénieuses qu’elle était mère. La reine en exil avait deux petits jumeaux
à sauver des assassins, ou tout au moins des ravisseurs. Rarement femme, en
effet, avait soulevé contre elle des inimitiés plus altérées de vengeance.
*
**
Il faut quand même indiquer
qu’aussi rayonnante de jeunesse que fut cette royale beauté, elle n’en avait
pas moins déjà l’âme noire d’une criminelle endurcie. En effet, après plusieurs
intrigues, la reine avait réussi à faire assassiner son époux !
Le triomphe de la coupable reine
n’eut pas été assez insolent si elle n’eut pas choisie son nouvel époux parmi
les conspirateurs qui assassinèrent son époux !
Le frère du défunt roi entra en
guerre contre Jeanne, et celle-ci fut contrainte de s’évader par mer, à grand’
peine, pour courir les risques d’une vie vagabonde, jusqu’à ce que son
absolution, arraché à la cour papale d’Avignon lui eut rouvert les portes de
son royaume !
Elle s’était souvenue à propos
qu’elle joignait à sa qualité de rein de Naples le titre de comtesse de
Provence : cette Provence hospitalière n’était-elle pas, pour sa chère et
bien aimé souveraine, le lieu de l’asile par excellence ?
*
**
Mais elle avait compté sans
l’entourage ulcéré de son premier mari. A peine avait-elle pris terre à
Marseille et cheminé vers Avignon que de
prétendus marchand levantins remontaient parallèlement le Rhône, avec une
cargaison destiné à la foire de Beaucaire.
Elle les rencontra dans les murs
de la vieille cité d’Arles, et fut frappé de leur obstination à suivre son
escorte. Le lendemain même, sur le rivage de Tarascon, alors même que la place
de ces gens était de l’autre côté du fleuve, elle vit les mêmes yeux luisants
dirigés sur elle et les siens.
Elle se sentit en péril, et,
nuitamment, elle reprit le chemin de la cité des papes, mais par un long détour
qui la ramenait dans la vallée de la Durance. Rien de suspect n’avait plus
attiré son attention, et, elle se figurait déjà s’être alarmée à tort, quand un
jour de la semaine suivante, qu’elle admirait le célèbre pont d’Avignon, elle
entendit le nom de « Jeanne la Diablesse » prononcé par des pécheurs
du Rhône qui lui jetaient des regards de haine et qui disaient, en dialecte
napolitain : « la mère au bourreau, aux poissons les petits !
».
Dans son épouvante elle ne se
donna pas le temps de profiter d’une audience accordée par le Saint-Père :
elle s’enfuit sur l’heure, par monts et par vaux, évitant avec soins de
traverser les villes et les bourgades, ne s’arrêtant ça et là, que deux ou
trois semaines au plus dans un de ses manoirs seigneuriaux ; car à peine y
était-elle, qu’on voyait apparaitre dans les alentours des bandes d’ouvriers
nomades ou de moissonneurs de louages, des troupes de chanteurs ambulants ou de
marchands forains, dont les louches allures étaient faites pour justifier
toutes les appréhensions.
De guerre lasse, elle se
débarrassa d’une partie de son escorte et se résolut à prendre à travers les
Alpes, avec le reste , pour atteindre, au-delà du Verdon, du Var, de la Tinée
et de la Vésubie, le point le plus ignoré, le plus reculé, et pourtant le plus
sur de sa comté de Provence.
*
**
Grande et générale fut la
surprise des manants de Rocca Sparviera, lorsqu’ils virent, un matin des
premiers jours d’automne, flotter un nuage de fumé au-dessus du château désert depuis des années
et des années : c’était les herbes folles et les ronces encombrant la cour
et le jardin, dont les nouveaux venus faisaient comme un feu de joie.
On avait bien, durant la nuit,
entendu les chiens aboyer aux portes des étables ; mais les bergers n’y
avaient point pris garde, n’ayant que les loups à craindre, et les sachant trop
peu en force de ce côté de la Vésubie,
pour venir braver les crocs acérés de leurs nombreux molosses.
Ils se demandaient mainmettant si
le village n’avait pas reçu une visite plus alarmante que celle des
loups !
Que signifie cette prise de
possession du vieux castel par ce qui ne saurait être que des hommes
d’armes ? Est-ce la guerre prochaine, comme au temps des Sarrasins, de
funeste mémoire ? Est-ce que n’est
guère plus rassurant, la tyrannie féodale qui revient exercer ses droits sans
limite et jamais prescrits ?
La surprise première des
habitants du roc aux éperviers fit bientôt place à la consternation. On ne
tarda pas, du moins, à être édifié !
La grande porte du château grinça
sur ses gonds depuis longtemps rouillés et s’ouvrit : on vit tout à coup
reluire le fer des hallebardes dans ces lieux paisibles ou, de mémoire d’homme,
n’avait plus brillé que celui des houlettes, des faucilles, ou des socs de
charrue.
On compta jusqu'à huit gardes qui
vinrent sur le seuil reconnaitre la contrée et retremper un instant au doux
soleil des montagnes leurs membres endoloris de lassitudes.
C’étaient, avec des yeux aussi
noirs que leurs épaisses moustaches, des figures menaçantes et hautaines :
il n’y avait apparemment rien de bon à attendre
de pareils hôtes.
Plus avant dans la matinée, une
sorte de héraut s’avança jusqu’au porche de l’église ; là il sonna de
l’olifant pour rassembler la foule, puis d’une voix claire et brève, il notifia
les volontés de son auguste souveraine, Madame la reine Jeanne de Naples,
comtesse de Provence, qui faisait à ses serfs de prédilection l’insigne
privilège de séjourner au milieux d’eux, sachant d’avance qu’ils pourvoiraient
à l’envi au service de sa table et de celle de ses gens.
Les villageois baissèrent la
tête, sans mot dire, en signe d’assentiment moins que de résignation. Le jour
même un premier tribut d’agneaux, de chevreaux, d’œufs et de volailles, de
jambon fumé, de fromage, de fleur de farine et de bûches de bois sec fut
docilement apporté : le territoire à cette altitude ne produisait pas de
vin.
*
**
Cependant les villageois avaient
gagné quelque chose avec l’arrivée de la noble dame dans le pays : ce fut
d’entendre la grand’messe dominicale chantée par son chapelain Don Pancrazio,
au lieu de la méchante messe basse que venait dire auparavant, chaque
quinzaine, à tour de rôle, quelques maussades vicaires de Duranus ou de
Coaraze, toujours pressé d’en finir. Don Pancrazio, au contraire, prenait
plaisir à déployer toutes les merveilles de sa belle voix napolitaine.
Il est vrai que la pieuse joie
des fidèles ne laissait pas d’être gâtée par la présence de la reine Jeanne,
qui avait son siège dans le chœur, où elle faisait tort au service divin par
les distractions qu’elle occasionnait à l’assistante.
« Quelle est belle et
fière ! » - avaient chuchoté les femmes à sa première entrée dans
l’église. « Où son teint à-t-il pris tant d’éclat ! » - disaient
les jeunes filles. Les vieillards eux, hochaient la tête en l’observant et la
plupart n’étaient pas loin de lui attribuer le mauvais œil. Et de fait,
nul d’entre les jeunes hommes n’eut
soutenu le regard perçant de ses yeux verts aux longs cils noirs qui donnaient
aux plus braves la chair de poule.
C’était assurément une créature
au-dessus de tout ce que pouvait se figurer de simples mortels ; mais à
être si prés d’elle, on se sentait mal à l’aise, comme au milieu d’un mauvais
rêve, tant l’admiration qu’elle inspirait était mêlée de défiance et
d’antipathie.
*
**
On se demandait avec une inquiétude
croissante combien de mois se prolongerait cette visite ruineuse pour une
population a si pauvreté faisait une loi de l’économie, lorsque vers la
mi-novembre, plusieurs bergers inconnus, suivis de troupeaux passèrent au même
moment le col de la porte et celui de Saint-Roch, venants les uns de la
Vésubie, les autres de la région de Lucéram.
En temps ordinaire, on n’eut pas
volontiers partagé avec eux des pacages à peine suffisants, surtout aux
approches de l’hiver, alors que les frimas s’étendent sur les prairies des
sommets et sur les pentes qui ne regardent pas le midi ; mais vu la
circonstance, mieux valait les traiter en auxiliaires attendus et les mettre au
courant des sacrifices qu’imposaient la royale présence. On eut l’agréable
surprise d’entendre les nouveaux venus offrir leur contribution spontanément et
de très bonne grâce.
Aussi ces bergers là étaient-ils
riches que désintéressés, à telle enseignes qu’ils avaient des courriers qui,
par le lit du paillon, leur apportaient de Nice, à dos de mulet des sacs de
farine et des outres de vin !
Ils n’en recommandaient pas moins
instamment à leurs nouveaux amis de ne souffler mots du surcroit de ressources
que la Providence leur envoyait, dans la crainte d’aiguiser encore l’appétit
des hallebardiers de la reine, déjà mal commode à contenter.
*
**
Il n’y avait pas de risque
d’ailleurs que les serfs de Rocca Sparviera s’avisassent de réserver leurs
confidences pour l’ingrate troupe du château qui n’avait pas assez de dédains à
l’adresse de ses pères nourriciers.
En revanche ce que ces âmes
simples n’arrivaient pas s’expliquer c’était qu’ont pu rencontrer en pareil
compagnie un chapelain tel que le mélodieux et corpulent Don Pancrazio, au
regard paterne, au visage épanoui de belle humeur, vrai pasteur des pauvres,
n’ayant à la bouche qu’aimable paroles de sympathie et de réconfort.
Par quelle aventure un aumônier
si évangélique était-il réduit à présenter l’eau bénite à une
quasi-excommuniée ?
« Amis de Rocca Sparviera –
répondirent les étrangers, en gens qui savent de quoi ils parlent – faites lui
un peu gouter de ce vin, pour vous assurer si le compère ne serait pas plutôt
le prêtre de Bacchus que celui du vrai Dieu : un gros silène aux pieds
fourchus peut aller de pair avec Jeanne la diablesse ! ».
Aussi, quinze jours environ avant
la Noel, Don Pancrazio semblait avoir pris à cœur de légitimer cette médisance.
Il ne manquait plus de se rendre,
chaque après midi que Dieu fit, dans une maison située à l’écart, en un pli de
terrain où l’attendait un cercle de
joyeux lurons et où l’on faisait passer à la ronde une lourde coupe du
délicieux vin de Falicon dont chacun humait sa part plus ou moins copieuse , à
son gré.
Après quelques tours de coupe Don
Pancrazio était alors mis en demeure de payer son écot d’une chanson bachique.
A la chute du jour, on le
remettait sur le chemin de château, l’air pensif et le pas hésitant : il
regagnait cahin-caha sa chambre du second étage, et faisait avertir la reine
qu’une indisposition subite ne lui permettait pas de descendre pour le
bénédicité du souper.
Sa santé chancelait ainsi chaque
soir, comme à heure fixe, puis il demeurait longuement plongé dans un si
étrange sommeil qu’on l’eut dit tombé en léthargie. Tous les matins, fort
malheureusement, le moribond paraissait ressuscité, mais ce n’était tout au
plus que pour une demi-journée.
Aussi il devenait évident qu’il
ne pourrait célébrer à noël la messe de minuit !
*
**
Jeanne de Naples prit, en
conséquence, ses dispositions pour assister à la messe de minuit dans la belle
église de Coaraze.
La paroisse fut avertie du très
grand honneur qui l’attendait et fut mis en devoir d’y répondre. Un trône, avec
baldaquin couleur de pourpre fut placé dans le chœur pour recevoir l’auguste
dame. Voila tout ce quelle avait pu conserver dans son exil de la pompe des
cérémonies napolitaine de jadis !
Comment ne s’alarmait-elle pas,
cette reine détesté cette reine soupçonneuse, de laisser durant plusieurs
heures de nuit ses chers enfants à la garde de sa vieille nourrice à
demi-impotente et du malade Don Pancrazio ?
Toutefois depuis son arrivé dans
ce bout du monde de Rocca Sparviera, nul indice inquiétant n’avait frappé son
regards, nulle parole malsonnante n’était parvenue à son oreille ; elle ne
pouvait plus douter que ses acharnés persécuteurs avaient cessé de la
poursuivre.
A la veille de la grande fête,
Jeanne coucha de ses propres mains ses deux jumeaux, les baisa tendrement sur
le front et fit ses préparatifs de départs, non sans avoir intimé à la nourrice
et au chapelain ses ordres exprès.
Cela fait, elle franchit,
bien rassurée, avec son cortège, la
porte monumentale, dont les fortes serrures furent fermées à double tour.
*
**
Dés que Don Pancrazio s’installa
dans la cuisine dés qu’il eut entendu le grincement des serrures, et attendit
que la nourrice s’assoupisse au chevet des deux enfants sur lesquels elle avait
mission de veiller.
Il s’empressa alors de disposer
d’une certaine façon deux chandelles à la fenêtre donnant sur le fossé :
telle était le signal convenu avec ses compagnons de beuveries, qui avaient
obtenu, quelques jours auparavant, de sa coupable condescendance, la promesse
de leur montrer l’intérieur du château durant l’absence de la reine.
Don Pancrazio comptait bien que
la grande coupe pleine de délicieux vin serait de la partie et que le réveillon
de noël, pour être anticipé d’une heure ou deux, n’en serait pas moins
généreusement arrosé !
Au bout d’un instant il entendit
le refrain d’une de ses chansons à boire fredonnée avec un si pur accent
napolitain qu’il eut du en concevoir de la méfiance … Mais gosier asséché n’a
point d’oreille !
Il ouvrit la fenêtre, sur le
rebord de laquelle portait déjà l’extrémité d’une échelle et quatre hommes
entrèrent : l’un deux tenait triomphalement la coupe en main tandis qu’un
autre portait une outre pleine.
D’un commun accord, les quatre
invités et Don Pancrazio prirent place autour de l’âtre pétillant, mettant le
doigt à leurs lèvres, pour se recommander mutuellement le silence, de peur de réveiller
les endormis, puis firent honneur une fois de plus au vin de Falicon.
On emplit la coupe profonde, et
le chapelain, l’œil étincelant d’une profane volupté, la saisit de ses deux
mains avides et s’abreuve à long traits du nectar. Les autres, feignant de
boire après lui, ne font que tremper leurs grosses moustaches dans la liqueur
généreuse où ils ont mêlés un narcotique.
La coupe remplie de nouveau, ce
n’est plus qu’à grand’ peine que le buveur, déjà semi-somnolent, la porte à ses
lèvres : tout aussitôt ses yeux se ferment, la coupe lui échappe et se
brise en mille pièces sur le pavé de la cuisine.
*
**
De la place publique de Coaraze,
voisine de l’église dont les cloches sonnaient à toute volée, la foule des
paroissiens, attentive à un nouveau spectacle pour elle, suivait du regard la
marche du cortège martial.
Huit torches, d’abord points
lumineux dans le lointain, éclairaient maintenant comme autant de soleils la
majestueuse Jeanne de Naples chevauchant sur sa banche jument, et faisaient scintiller
les hallebardes au cliquetis sonore dans le silence de la nuit.
Se croyant réconcilier avec dieu,
qui l’avait soustraite à la vengeance de ses ennemis, la reine sanglante
songeait beaucoup moins à ses crimes passés qu’à son prochain retour triomphal
dans sa bonne ville de Naples, sous les auspices du pape d’Avignon, lorsque, à
l’approche d’un vallon, elle se sentit frissonner à l’audition d’une voix
railleuse qui, montant de l’ombre vers elle, disait dans le patois local :
« La régina va a la messa,
cora ven, trouvera taoula messa !
».
(La reine au retour de la messe trouvera table mise !).
Mais la souveraine ne tarde pas à
sourire de sa frayeur à propos d’une inconvenance de quelque rustre un peu trop
préoccupé du réveillon traditionnel.
Reçue au seuil de l’église, en
grande cérémonie par le clergé local, elle traverse la haie des fidèles
inclinés avec respect, et assiste jusqu’au bout, sur son trône, à l’office
divin, sans le moindre pressentiment du forfait qui vient d’être consommé chez
elle.
Si en reprenant le chemin qui
mène à son refuge haut perché elle presse le pas de son escorte, ce n’est pas
par appréhension de quelques dangers mais par impatience maternelle de revoir
le sourire de ses petits anges dans leurs berceaux.
Mais, ô reine plus encore
infortunée que criminelle, tu ne les y retrouveras plus !
L’entendez-vous appeler à grand
cris sa vieille nourrice, que ses gardes lui apporte bâillonnée et demi-morte,
telle qu’ils l’ont tirée, gisant dans le bucher, où des mains brutales
l’avaient poussée ? Jeanne haletante, l’œil en feu, les cheveux épars,
court de chambre en chambre, monte et redescend l’escalier, puis, ouvrant la
porte de la salle à manger, brillamment éclairée, demeure pétrifiée devant un abominable spectacle.
Tandis que Don Pancrazio, ivre
mort, ronfle insolemment dans le fauteuil de sa souveraine, comme attendant
pour faire les honneurs du festin, devant lui, en guise de pièces de venaison,
sont couchés, sur un lit de plantes aromatiques, les pauvres jumeaux , nu un
lacet au col, et fiché dans la poitrine, un large couteau à découper.
*
**
Le matin venu, les manants de
Rocca Sparviera s’étonnaient de
n’entendre point sonner l’angélus.
Plusieurs s’étaient réunis sous
le porche de l’église quand ils virent la même fumée que trois mois auparavant
flotter au-dessus du château, puis la grande porte s’ouvrir et la reine Jeanne
de Naples s’avancer au milieu de son escorte, non pour se rendre à la messe de
l’aurore, comme il convient un jour de noël, mais pour entreprendre, encore
fugitive, un aventureux voyage par-delà les grands amas neigeux de la
montagne.
En arrivant à la hauteur de la
maison de Dieu, la mère en deuil arrêta sa monture, semblant prendre le ciel à
témoin, puis se dressant sur ses étriers, elle avait étendu le bras sur le village, dans un geste
d’imprécation solennelle et proféré la prédiction que nul n’a pu oublier :
« Roc, méchant roc !
Un jour viendra
Où plus ne chantera
Sur toi poule ni coq ! ».
Tout à coup, le nuage de fumé qui
montait du château fit place à un
tourbillon de flamme : l’incendie avait été si bien préparé à l’aide de
matériaux arrosés d’huile que c’eut été
folie de songer à l’éteindre.
Lorsqu’il ne resta plus entre les
murs calciné de l’édifice qu’un monceau
de cendre, des hommes qu’une avide curiosité y conduisit, comprirent que la
fugitive n’avait pas voulu confier à une terre inhospitalière la dépouille de
ses enfants, dont les petits cadavres carbonisés furent découverts à côté de
celui du corpulent Don Pancrazio, rapetissé lui-même par l’action dévorante des
flammes.