jeudi 2 janvier 2014

Mine de l'Eguisse et Cime de Rocca-Sparviera


Cette ballade se fait au départ du petit village de Duranus où se trouve le fameux "saut des français". Le premier objectif de la ballade est l'ancienne mine de l'Eguisse de laquelle était extrait du sulfure d'arsenic. Cette mine a été fermée en 1931, toutefois en 1910 (pic de production du site) 18 ouvriers pouvaient en extraire jusqu'à 3 tonnes de minerai par jours. Le minerai était ensuite "grillé" sur place au moyen d'installations très importantes, dont subsiste notamment  une cheminée.

La cheminée de la mine de l'Eguisse surgit !

l'usine
Les restes des installations de l'usine
Après une petite pause ... direction les ruines du village de Rocca-Sparviera (La roche aux éperviers) lieu ou prend jour la terrible légende de la reine Jeanne de Naples !

La chapelle saint Michel
Les ruines et au fond la cime de Roccassiera (1501m)
Du côté du Paillon vu depuis une fenêtre !
Est-ce la ruine du château de la reine Jeanne ?
Le hameau de l'engarvin est visible à travers la fenêtre
Cime de Roccassiera
Le sanctuaire de la madone d'Utelle
Le castel ginesté (1344m) et le brec d'Utelle (1604m)
le Tournairet (2086m) et la foret des granges de la brasque
Le Férion (1412m)
Le Mounier (2817m)
La légende de la reine Jeanne à Rocca Sparviera :

Au fond de la vallée qu’arrose de fois à autre le Paillon de Contes quelques milliers de toises plus loin, à vol d’oiseau, que l’imposant village de Coaraze se rencontrent les ruines de Rocca Sparviera, sur la ligne de faite qui relie le sommet du Férion à Celui du mont Roccassiera.

L’église aussi bien que les maisons des paysans, les cahutes des bergers et les vieux murs du château féodal tout indistinctement a été couché sur le sol par un tremblement de terre. Les survivants ont transportés leurs foyers qui à Coaraze, qui à Duranus, qui au hameau plus proches de l’Engarvin fondé tout exprès pour leur servir de refuge.

Le Malheureux événement était chose prévu et dés longtemps attendue : Rocca Sparviera, la roche de l’épervier, non seulement portait un nom de mauvais augure, mais on savait qu’un sort fâcheux planait sur elle et que c’était un lieu maudit. De génération en génération dans les veillées d’hiver, on s’était répété une sinistre légende à l’appui d’une prédiction non moins sinistre :

« Rocca, Rocchina !, un jou vendra, Que aïssi non cantera plus ni gal ni gallina ! ».
(Roc, méchant roc ! un jour viendra ou ne chantera plus sur toi, ni poule ni coq !).

Telle avait été la prédiction de la reine Jeanne de Naples ! Mais qu’avait à faire ce personnage fameux du XIVème siècle avec un coin de terre montagneuse perdu au milieu des pins et qu’apercevaient seuls les habitants de Coaraze, du haut de leur citadelle, elle-même défendue de tous côtés par la barrière d’une forêt inextricable ?

C’est précisément ce coin de terre perdue, au bout du monde qui avait tenté une reine fugitive, pourchassée par une meute d’ennemis, mais ingénieuse à dépister ces limiers ; d’autant plus ingénieuses qu’elle était mère. La reine en exil avait deux petits jumeaux à sauver des assassins, ou tout au moins des ravisseurs. Rarement femme, en effet, avait soulevé contre elle des inimitiés plus altérées de vengeance.

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Il faut quand même indiquer qu’aussi rayonnante de jeunesse que fut cette royale beauté, elle n’en avait pas moins déjà l’âme noire d’une criminelle endurcie. En effet, après plusieurs intrigues, la reine avait réussi à faire assassiner son époux !

Le triomphe de la coupable reine n’eut pas été assez insolent si elle n’eut pas choisie son nouvel époux parmi les conspirateurs qui assassinèrent son époux !

Le frère du défunt roi entra en guerre contre Jeanne, et celle-ci fut contrainte de s’évader par mer, à grand’ peine, pour courir les risques d’une vie vagabonde, jusqu’à ce que son absolution, arraché à la cour papale d’Avignon lui eut rouvert les portes de son royaume !

Elle s’était souvenue à propos qu’elle joignait à sa qualité de rein de Naples le titre de comtesse de Provence : cette Provence hospitalière n’était-elle pas, pour sa chère et bien aimé souveraine, le lieu de l’asile par excellence ?

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Mais elle avait compté sans l’entourage ulcéré de son premier mari. A peine avait-elle pris terre à Marseille et cheminé vers Avignon  que de prétendus marchand levantins remontaient parallèlement le Rhône, avec une cargaison destiné à la foire de Beaucaire.

Elle les rencontra dans les murs de la vieille cité d’Arles, et fut frappé de leur obstination à suivre son escorte. Le lendemain même, sur le rivage de Tarascon, alors même que la place de ces gens était de l’autre côté du fleuve, elle vit les mêmes yeux luisants dirigés sur elle et les siens.

Elle se sentit en péril, et, nuitamment, elle reprit le chemin de la cité des papes, mais par un long détour qui la ramenait dans la vallée de la Durance. Rien de suspect n’avait plus attiré son attention, et, elle se figurait déjà s’être alarmée à tort, quand un jour de la semaine suivante, qu’elle admirait le célèbre pont d’Avignon, elle entendit le nom de « Jeanne la Diablesse » prononcé par des pécheurs du Rhône qui lui jetaient des regards de haine et qui disaient, en dialecte napolitain : « la mère au bourreau, aux poissons les petits ! ». 

Dans son épouvante elle ne se donna pas le temps de profiter d’une audience accordée par le Saint-Père : elle s’enfuit sur l’heure, par monts et par vaux, évitant avec soins de traverser les villes et les bourgades, ne s’arrêtant ça et là, que deux ou trois semaines au plus dans un de ses manoirs seigneuriaux ; car à peine y était-elle, qu’on voyait apparaitre dans les alentours des bandes d’ouvriers nomades ou de moissonneurs de louages, des troupes de chanteurs ambulants ou de marchands forains, dont les louches allures étaient faites pour justifier toutes les appréhensions.

De guerre lasse, elle se débarrassa d’une partie de son escorte et se résolut à prendre à travers les Alpes, avec le reste , pour atteindre, au-delà du Verdon, du Var, de la Tinée et de la Vésubie, le point le plus ignoré, le plus reculé, et pourtant le plus sur de sa comté de Provence.

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Grande et générale fut la surprise des manants de Rocca Sparviera, lorsqu’ils virent, un matin des premiers jours d’automne, flotter un nuage de fumé  au-dessus du château désert depuis des années et des années : c’était les herbes folles et les ronces encombrant la cour et le jardin, dont les nouveaux venus faisaient comme un feu de joie.

On avait bien, durant la nuit, entendu les chiens aboyer aux portes des étables ; mais les bergers n’y avaient point pris garde, n’ayant que les loups à craindre, et les sachant trop peu en force de ce côté  de la Vésubie, pour venir braver les crocs acérés de leurs nombreux molosses.

Ils se demandaient mainmettant si le village n’avait pas reçu une visite plus alarmante que celle des loups !

Que signifie cette prise de possession du vieux castel par ce qui ne saurait être que des hommes d’armes ? Est-ce la guerre prochaine, comme au temps des Sarrasins, de funeste mémoire ?  Est-ce que n’est guère plus rassurant, la tyrannie féodale qui revient exercer ses droits sans limite et jamais prescrits ?

La surprise première des habitants du roc aux éperviers fit bientôt place à la consternation. On ne tarda pas, du moins, à être édifié !

La grande porte du château grinça sur ses gonds depuis longtemps rouillés et s’ouvrit : on vit tout à coup reluire le fer des hallebardes dans ces lieux paisibles ou, de mémoire d’homme, n’avait plus brillé que celui des houlettes, des faucilles, ou des socs de charrue.

On compta jusqu'à huit gardes qui vinrent sur le seuil reconnaitre la contrée et retremper un instant au doux soleil des montagnes leurs membres endoloris de lassitudes.

C’étaient, avec des yeux aussi noirs que leurs épaisses moustaches, des figures menaçantes et hautaines : il n’y avait apparemment rien de bon à attendre  de pareils hôtes.

Plus avant dans la matinée, une sorte de héraut s’avança jusqu’au porche de l’église ; là il sonna de l’olifant pour rassembler la foule, puis d’une voix claire et brève, il notifia les volontés de son auguste souveraine, Madame la reine Jeanne de Naples, comtesse de Provence, qui faisait à ses serfs de prédilection l’insigne privilège de séjourner au milieux d’eux, sachant d’avance qu’ils pourvoiraient à l’envi au service de sa table et de celle de ses gens.

Les villageois baissèrent la tête, sans mot dire, en signe d’assentiment moins que de résignation. Le jour même un premier tribut d’agneaux, de chevreaux, d’œufs et de volailles, de jambon fumé, de fromage, de fleur de farine et de bûches de bois sec fut docilement apporté : le territoire à cette altitude ne produisait pas de vin.  

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Cependant les villageois avaient gagné quelque chose avec l’arrivée de la noble dame dans le pays : ce fut d’entendre la grand’messe dominicale chantée par son chapelain Don Pancrazio, au lieu de la méchante messe basse que venait dire auparavant, chaque quinzaine, à tour de rôle, quelques maussades vicaires de Duranus ou de Coaraze, toujours pressé d’en finir. Don Pancrazio, au contraire, prenait plaisir à déployer toutes les merveilles de sa belle voix napolitaine.

Il est vrai que la pieuse joie des fidèles ne laissait pas d’être gâtée par la présence de la reine Jeanne, qui avait son siège dans le chœur, où elle faisait tort au service divin par les distractions qu’elle occasionnait à l’assistante.

« Quelle est belle et fière ! » - avaient chuchoté les femmes à sa première entrée dans l’église. « Où son teint à-t-il pris tant d’éclat ! » - disaient les jeunes filles. Les vieillards eux, hochaient la tête en l’observant et la plupart n’étaient pas loin de lui attribuer le mauvais œil. Et de fait, nul  d’entre les jeunes hommes n’eut soutenu le regard perçant de ses yeux verts aux longs cils noirs qui donnaient aux plus braves la chair de poule.

C’était assurément une créature au-dessus de tout ce que pouvait se figurer de simples mortels ; mais à être si prés d’elle, on se sentait mal à l’aise, comme au milieu d’un mauvais rêve, tant l’admiration qu’elle inspirait était mêlée de défiance et d’antipathie.

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On se demandait avec une inquiétude croissante combien de mois se prolongerait cette visite ruineuse pour une population a si pauvreté faisait une loi de l’économie, lorsque vers la mi-novembre, plusieurs bergers inconnus, suivis de troupeaux passèrent au même moment le col de la porte et celui de Saint-Roch, venants les uns de la Vésubie, les autres de la région de Lucéram.

En temps ordinaire, on n’eut pas volontiers partagé avec eux des pacages à peine suffisants, surtout aux approches de l’hiver, alors que les frimas s’étendent sur les prairies des sommets et sur les pentes qui ne regardent pas le midi ; mais vu la circonstance, mieux valait les traiter en auxiliaires attendus et les mettre au courant des sacrifices qu’imposaient la royale présence. On eut l’agréable surprise d’entendre les nouveaux venus offrir leur contribution spontanément et de très bonne grâce.

Aussi ces bergers là étaient-ils riches que désintéressés, à telle enseignes qu’ils avaient des courriers qui, par le lit du paillon, leur apportaient de Nice, à dos de mulet des sacs de farine et des outres de vin !

Ils n’en recommandaient pas moins instamment à leurs nouveaux amis de ne souffler mots du surcroit de ressources que la Providence leur envoyait, dans la crainte d’aiguiser encore l’appétit des hallebardiers de la reine, déjà mal commode à contenter.

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Il n’y avait pas de risque d’ailleurs que les serfs de Rocca Sparviera s’avisassent de réserver leurs confidences pour l’ingrate troupe du château qui n’avait pas assez de dédains à l’adresse de ses pères nourriciers.

En revanche ce que ces âmes simples n’arrivaient pas s’expliquer c’était qu’ont pu rencontrer en pareil compagnie un chapelain tel que le mélodieux et corpulent Don Pancrazio, au regard paterne, au visage épanoui de belle humeur, vrai pasteur des pauvres, n’ayant à la bouche qu’aimable paroles de sympathie et de réconfort.

Par quelle aventure un aumônier si évangélique était-il réduit à présenter l’eau bénite à une quasi-excommuniée ?

« Amis de Rocca Sparviera – répondirent les étrangers, en gens qui savent de quoi ils parlent – faites lui un peu gouter de ce vin, pour vous assurer si le compère ne serait pas plutôt le prêtre de Bacchus que celui du vrai Dieu : un gros silène aux pieds fourchus peut aller de pair avec Jeanne la diablesse ! ».

Aussi, quinze jours environ avant la Noel, Don Pancrazio semblait avoir pris à cœur de légitimer cette médisance.

Il ne manquait plus de se rendre, chaque après midi que Dieu fit, dans une maison située à l’écart, en un pli de terrain où l’attendait  un cercle de joyeux lurons et où l’on faisait passer à la ronde une lourde coupe du délicieux vin de Falicon dont chacun humait sa part plus ou moins copieuse , à son gré.

Après quelques tours de coupe Don Pancrazio était alors mis en demeure de payer son écot d’une chanson bachique.

A la chute du jour, on le remettait sur le chemin de château, l’air pensif et le pas hésitant : il regagnait cahin-caha sa chambre du second étage, et faisait avertir la reine qu’une indisposition subite ne lui permettait pas de descendre pour le bénédicité du souper.

Sa santé chancelait ainsi chaque soir, comme à heure fixe, puis il demeurait longuement plongé dans un si étrange sommeil qu’on l’eut dit tombé en léthargie. Tous les matins, fort malheureusement, le moribond paraissait ressuscité, mais ce n’était tout au plus que pour une demi-journée.

Aussi il devenait évident qu’il ne pourrait célébrer à noël la messe de minuit ! 

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Jeanne de Naples prit, en conséquence, ses dispositions pour assister à la messe de minuit dans la belle église de Coaraze.

La paroisse fut avertie du très grand honneur qui l’attendait et fut mis en devoir d’y répondre. Un trône, avec baldaquin couleur de pourpre fut placé dans le chœur pour recevoir l’auguste dame. Voila tout ce quelle avait pu conserver dans son exil de la pompe des cérémonies napolitaine de jadis !

Comment ne s’alarmait-elle pas, cette reine détesté cette reine soupçonneuse, de laisser durant plusieurs heures de nuit ses chers enfants à la garde de sa vieille nourrice à demi-impotente et du malade Don Pancrazio ?

Toutefois depuis son arrivé dans ce bout du monde de Rocca Sparviera, nul indice inquiétant n’avait frappé son regards, nulle parole malsonnante n’était parvenue à son oreille ; elle ne pouvait plus douter que ses acharnés persécuteurs avaient cessé de la poursuivre.

A la veille de la grande fête, Jeanne coucha de ses propres mains ses deux jumeaux, les baisa tendrement sur le front et fit ses préparatifs de départs, non sans avoir intimé à la nourrice et au chapelain ses ordres exprès.

Cela fait, elle franchit, bien  rassurée, avec son cortège, la porte monumentale, dont les fortes serrures furent fermées à double tour.

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Dés que Don Pancrazio s’installa dans la cuisine dés qu’il eut entendu le grincement des serrures, et attendit que la nourrice s’assoupisse au chevet des deux enfants sur lesquels elle avait mission de veiller.

Il s’empressa alors de disposer d’une certaine façon deux chandelles à la fenêtre donnant sur le fossé : telle était le signal convenu avec ses compagnons de beuveries, qui avaient obtenu, quelques jours auparavant, de sa coupable condescendance, la promesse de leur montrer l’intérieur du château durant l’absence de la reine.

Don Pancrazio comptait bien que la grande coupe pleine de délicieux vin serait de la partie et que le réveillon de noël, pour être anticipé d’une heure ou deux, n’en serait pas moins généreusement arrosé !

Au bout d’un instant il entendit le refrain d’une de ses chansons à boire fredonnée avec un si pur accent napolitain qu’il eut du en concevoir de la méfiance … Mais gosier asséché n’a point d’oreille !

Il ouvrit la fenêtre, sur le rebord de laquelle portait déjà l’extrémité d’une échelle et quatre hommes entrèrent : l’un deux tenait triomphalement la coupe en main tandis qu’un autre portait une outre pleine.

D’un commun accord, les quatre invités et Don Pancrazio prirent place autour de l’âtre pétillant, mettant le doigt à leurs lèvres, pour se recommander mutuellement le silence, de peur de réveiller les endormis, puis firent honneur une fois de plus au vin de Falicon.

On emplit la coupe profonde, et le chapelain, l’œil étincelant d’une profane volupté, la saisit de ses deux mains avides et s’abreuve à long traits du nectar. Les autres, feignant de boire après lui, ne font que tremper leurs grosses moustaches dans la liqueur généreuse où ils ont mêlés un narcotique.

La coupe remplie de nouveau, ce n’est plus qu’à grand’ peine que le buveur, déjà semi-somnolent, la porte à ses lèvres : tout aussitôt ses yeux se ferment, la coupe lui échappe et se brise en mille pièces sur le pavé de la cuisine.

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De la place publique de Coaraze, voisine de l’église dont les cloches sonnaient à toute volée, la foule des paroissiens, attentive à un nouveau spectacle pour elle, suivait du regard la marche du cortège martial.

Huit torches, d’abord points lumineux dans le lointain, éclairaient maintenant comme autant de soleils la majestueuse Jeanne de Naples chevauchant sur sa banche jument, et faisaient scintiller les hallebardes au cliquetis sonore dans le silence de la nuit.

Se croyant réconcilier avec dieu, qui l’avait soustraite à la vengeance de ses ennemis, la reine sanglante songeait beaucoup moins à ses crimes passés qu’à son prochain retour triomphal dans sa bonne ville de Naples, sous les auspices du pape d’Avignon, lorsque, à l’approche d’un vallon, elle se sentit frissonner à l’audition d’une voix railleuse qui, montant de l’ombre vers elle, disait dans le patois local :

« La régina va a  la messa, cora ven, trouvera taoula messa !  ».
(La reine au retour de la messe trouvera table mise !).

Mais la souveraine ne tarde pas à sourire de sa frayeur à propos d’une inconvenance de quelque rustre un peu trop préoccupé du réveillon traditionnel.
Reçue au seuil de l’église, en grande cérémonie par le clergé local, elle traverse la haie des fidèles inclinés avec respect, et assiste jusqu’au bout, sur son trône, à l’office divin, sans le moindre pressentiment du forfait qui vient d’être consommé chez elle.

Si en reprenant le chemin qui mène à son refuge haut perché elle presse le pas de son escorte, ce n’est pas par appréhension de quelques dangers mais par impatience maternelle de revoir le sourire de ses petits anges dans leurs berceaux.

Mais, ô reine plus encore infortunée que criminelle, tu ne les y retrouveras plus !

L’entendez-vous appeler à grand cris sa vieille nourrice, que ses gardes lui apporte bâillonnée et demi-morte, telle qu’ils l’ont tirée, gisant dans le bucher, où des mains brutales l’avaient poussée ? Jeanne haletante, l’œil en feu, les cheveux épars, court de chambre en chambre, monte et redescend l’escalier, puis, ouvrant la porte de la salle à manger, brillamment éclairée, demeure pétrifiée devant un  abominable spectacle.

Tandis que Don Pancrazio, ivre mort, ronfle insolemment dans le fauteuil de sa souveraine, comme attendant pour faire les honneurs du festin, devant lui, en guise de pièces de venaison, sont couchés, sur un lit de plantes aromatiques, les pauvres jumeaux , nu un lacet au col, et fiché dans la poitrine, un large couteau à découper.

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Le matin venu, les manants de Rocca Sparviera s’étonnaient  de n’entendre point sonner l’angélus.

Plusieurs s’étaient réunis sous le porche de l’église quand ils virent la même fumée que trois mois auparavant flotter au-dessus du château, puis la grande porte s’ouvrir et la reine Jeanne de Naples s’avancer au milieu de son escorte, non pour se rendre à la messe de l’aurore, comme il convient un jour de noël, mais pour entreprendre, encore fugitive,  un aventureux  voyage par-delà les grands amas neigeux de la montagne.

En arrivant à la hauteur de la maison de Dieu, la mère en deuil arrêta sa monture, semblant prendre le ciel à témoin, puis se dressant sur ses étriers, elle avait  étendu le bras sur le village, dans un geste d’imprécation solennelle et proféré la prédiction que nul n’a pu oublier :

« Roc, méchant roc !
Un jour viendra
Où plus ne chantera
Sur toi poule ni coq ! ».

Tout à coup, le nuage de fumé qui montait  du château fit place à un tourbillon de flamme : l’incendie avait été si bien préparé à l’aide de matériaux arrosés d’huile  que c’eut été folie de songer à l’éteindre.

Lorsqu’il ne resta plus entre les murs calciné de l’édifice  qu’un monceau de cendre, des hommes qu’une avide curiosité y conduisit, comprirent que la fugitive n’avait pas voulu confier à une terre inhospitalière la dépouille de ses enfants, dont les petits cadavres carbonisés furent découverts à côté de celui du corpulent Don Pancrazio, rapetissé lui-même par l’action dévorante des flammes.

(« Contes et légendes du pays niçois », Edouard CHANAL)